MélenShack, la base d'images des "Insoumis", aux créateurs (très) discrets
Long billet pour petite enquête. Il y a deux semaines, je trainais sur le subreddit français, à rigoler devant des memes sur Mélenchon. Dans un sujet, j'aperçois un lien vers melenshack.fr, une banque d'images dédiée au candidat, au nom tiré du célèbre ImageShack.
Il s'appuie sur la communication habituelle des "Insoumis" : des memes avec des montages plus ou moins réussis, glorifiant Mélenchon dans un style propre à plaire aux internautes français de Reddit ou aux kheys de jv.com, réservoir historique de ses fans.
En fait, MélenShack semble être devenu rapidement une corde à l'arc de la communication en ligne du candidat. Les premières mentions publiques sont apparues sur Twitter (via des comptes présentant le "ϕ" caractéristique des "Insoumis"), un sujet sur le 18-25, un article de l'Huffpost et quelques mentions sur Reddit. Les comptes officiels de la campagne JLM2017 s'en sont emparés, avec quelques couacs niveau droit d'auteur.
Ce soir, on joue carte sur table ! Si vous souhaitez des visuels, c'est par ici : https://t.co/OwdbscRkZ2 #DebatTF1 #JLM2017 pic.twitter.com/uIvv8cPCkL
— Le Discord insoumis (@Action_Insoumis) March 20, 2017
J'ai donc découvert le site il y moins de deux semaines. Il ne date pas de plus. Le nom de domaine a été enregistré par un inconnu le 11 mars, avant d'être mis en marche (hum) sur le week-end. Les premiers jours, il n'avait même pas de page À propos.
Un site viral aux auteurs d'abord inconnus
Qui en est l'auteur ? Mon analyse, en le découvrant, était qu'il s'agissait d'une création brumeuse de l'équipe de campagne de Mélenchon. Le dispositif était propre, des centaines d'images étaient disponibles dès le lancement du site et un concours était même organisé pour l'événement "J'ai Bastille" du 18 mars. Ce dernier était LA grande démonstration de force de cette campagne, préparée avec soin ; mobiliser les internautes était donc essentiel.
Et puis, il faut le dire, le style de cette communication ressemble furieusement à celui imprimé par le youtubeur Antoine Léaument, derrière la chaine de Mélenchon ("1er sur le YouTube politique") et chef d'orchestre de la communication numérique du candidat. Sa prestation chez Arrêt sur images confirmait d'ailleurs ce style, s'il en était besoin.
Pourquoi ces spéculations ? Pas de page À propos, un nom de domaine au whois anonyme, avec un certificat SSL acheté chez Comodo (ce qui induit un travail professionnel) et la synchronicité parfaite avec la campagne de Mélenchon. L'Huffington Post affirmait lui-même que Mélenchon promouvait "son" site.
Des militants indépendants... mais proches de la campagne
Je laisse le sujet en plan une semaine, après l'avoir proposé à un confrère de confiance, qui n'a pas eu le temps d'en faire grand-chose. J'y reviens ce midi et, oh, surprise, une page À propos est apparue !
On y découvre que le site n'est officiellement pas affilié à l'équipe de campagne de Mélenchon. Il vient de la "communauté Discord", c'est-à-dire le noyau des internautes mobilisés pour la campagne qui ne se soumet pas. Dans la tradition des gamers qu'héberge habituellement Discord, deux pseudos sont cités pour les créateurs : Entropy et Maxgoods.
Je contacte l'un des deux sur Twitter, ainsi qu'un membre du Discord, qui a géré la suppression d'une image litigieuse sur MélenShack. À ce propos, ne sous-estimez jamais la puissance des recherches Twitter avec des opérateurs comme "from:" ou "to:", qui réservent régulièrement de belles surprises.
Interrogé, un twitto me déclare donc qu'il s'agit d'un projet militant, en fait préparé deux mois avant l'énorme événement du 18 mars (le fameux "J'ai Bastille"), avec un concours de memes au long cours, pour remplir rapidement le site. Il n'est donc pas affilié à l'équipe de campagne, quand bien même ses membres ont été prévenus peu avant son lancement. L'un des deux créateurs du site confirme le tout :
Je vous félicite de nous avoir trouvés x) La structure du Discord sur lequel on est basé (et qui est indépendant de l'équipe de campagne officielle, ce sont des gens comme vous et moi qui le font fonctionner) est assez horizontale, on a commencé à bosser dessus il y a 2 mois pour centraliser tous les visuels que les gens conçoivent. Le staff du Discord a fait une sorte de concours de visuels à propos de "J'peux pas, j'ai Bastille" et on a eu l'idée de le faire avec Melenshack (on a bossé pas mal pour le sortir rapidement, le site n'était pas encore prêt à 100%).
Concernant votre interrogation, l'équipe de campagne a eu connaissance de l'idée du site un ou deux jours avant qu'il soit "officiellement" lancé mais l'ont vu réellement après la sortie.
Pas de mentions légales, la CNIL oubliée
MélenShack a tout du projet web amateur lancé à la bonne franquette, entre des copains qui se trouvent être militants politiques. L'oubli d'une page À propos est un moindre mal en fait.
Comme je leur ai signalé, les mentions légales sont aux abonnés absents. Hébergeur ou directeur de publication avec nom réel sont des informations qui attendront, même si le nom de domaine enregistré chez OVH laisse penser que le serveur y est aussi hébergé. Ils m'ont promis de s'en charger rapidement.
L'autre oubli est la déclaration CNIL, pour le contrôle des données personnelles. Le site permet de s'enregistrer avec son adresse email ou un compte tiers (Facebook, Google ou Twitter). Tout juste la page À propos promet-elle que "Si vous vous connectez via les réseaux sociaux, seuls votre nom et votre adresse mail sont collectés. Nous ne revendons en aucun cas vos données personnelles".
Si cette omission est compréhensible pour un projet amateur (tout de même bien conçu), elle peut devenir problématique. Surtout quand la communication officielle de Mélenchon s'appuie de plus en plus fortement sur cet outil, à quelques semaines du premier tour.
Un marqueur de la campagne numérique de JLM
Mais oublions tout cela. Ce qui m'a fasciné avec MélenShack, et ce qui reste marquant, est l'activisme des soutiens de Mélenchon, qui me semble unique dans cette campagne. Le service de discussion Discord, initialement prévu pour les communautés de joueurs en ligne, semble central. Et quand je dis central, c'est central.
Les internautes y sont rapidement redirigés : via le mini-site qui répertorie les émanations de la communauté, le subreddit JLM (avec un lien permanent en surimpression du contenu) et sur Twitter. En discutant avec les personnes derrière MélenShack, j'ai aussi été rapidement invité à les rejoindre ; ce que j'évite sauf à en avoir réellement besoin.
Comme je vous l'expliquais, la politique de vie privée du service n'est pas des meilleures. Les données hébergées ont aussi longtemps été disponibles via le web, soit le niveau zéro de la sécurité. Discord a surtout pour avantage d'être pratique et utilisé par la cible que Mélenchon et ses militants veulent mobiliser en ligne, les jeunes (vaguement) gamers qui aiment les memes et, je le devine, reproduire les meilleures opérations publiques d'un 4chan, avec le même esprit potache.
Cela sans parler de contrer d'autres communautés, comme les militants d'extrême-droite américains qui soutiennent massivement Le Pen (aussi via Reddit ou Discord), les militants français du même bord et tous ceux qui seraient tentés de récupérer les affiliés d'un forum comme le 18-25. Le copier-coller de Mélenchon par Philippot sur YouTube (à grands coups de clins d’œil appuyés à ses blagues) peut le justifier amplement. Notons que /r/france (qui penche fortement à gauche selon un sondage effectué en novembre 2016 sur le sub) et les subreddits affiliés semblent aussi être des lieux d'épanouissement pour les mélenchonnistes, qu'ils l'admettent ou non.
Au-delà de sa production en propre, notamment la chaine YouTube, le talent de l'équipe numérique de Mélenchon semble être d'avoir su s'approprier ces phénomènes. Du premier message sur le 18-25 de jv.com (officiellement d'un sympathisant) à MélenShack, toute une communauté a été mise en ordre de marche, avec une désinvolture apparente qui rompt avec la communication politique classique. Un raccord aux codes du Net déjà justement chroniqué par Mister JDay.