Un mois avec Qobuz, c'est comment ?

Chanteur en herbe
Free-Photos (Pixabay)

Depuis plus de trois ans, j'achète de la musique en "qualité CD" chez Qobuz, un service français qui aime se présenter comme une entreprise par et pour les mélomanes. Il joue sur deux plans : la qualité audio (via une qualité "CD" 16 bits/44,1 kHz et Hi-Res 24 bits) et l'éditorialisation, avec des métadonnées fournies et un magazine musique/matériel audio. Un artisan face aux industriels de Deezer ou Spotify.

Quand j'interrogeais récemment le propriétaire de l'entreprise, Denis Thébaud, qui a repris l'affaire après un redressement judiciaire fin 2015, il me répondait qu'on ne demande pas son nombre de voitures vendues à Porsche. Qobuz vient de sortir Sublime+ à 350 euros par an, une "offre luxe" comme le caractérise très bien Electron Libre.

Après le lancement d'une nouvelle application pour PC et la promesse de versions mobiles revues "fin avril" (actuellement en bêta...), je me suis lancé dans un mois d'utilisation exclusive de l'offre Hi-Fi du service, qui fleure bon l'exception culturelle. Je tiens avant tout à rappeler que j'apprécie beaucoup Qobuz, ses équipes et sa passion.

Bogues et ergonomie

J'avais déjà utilisé le service, mais jamais sur une si longue période. Pourtant, la majorité des soucis sont apparus dès le premier jour :

  • Le site sans version HTTPS, y compris pour la gestion du compte, sûrement le plus inacceptable des problèmes recensés
  • Sur l'application Windows, un joli plantage au changement de qualité (de CD à MP3) pendant une lecture, obtenu sur deux PC
  • Sur une petite config (i3 et 4 Go de RAM), la lecture en "qualité CD" peut saccader si des applications gourmandes tournent en parallèle
  • Des images qui n'arrivent pas à charger sur le client Windows
  • Des informations de fiches artiste qui ne se mettent pas à jour, comme le dernier album récent qui reste celui du groupe consulté juste avant
  • La pertinence aléatoire du moteur de recherche, capable d'occulter des réponses correspondant au caractère près, semble-t-il pour des histoires d'accent

Au-delà des simples bogues, des problèmes d'ergonomie apparaissent rapidement :

  • Répéter une piste empêche de naviguer dans le reste de la liste de lecture, un comportement que j'ai trouvé nulle part ailleurs
  • Peu importe l'application, les listes (dont les recherches) n'affichent pas les portraits d'artiste, qui existent bien
  • Sur l'application iOS actuelle, des menus où le concept de marge semble absent, rendant par exemple l'appui sur cette croix compliqué
  • Sur l'application Windows, le choix de la sortie audio est décorrélé du système. La possibilité de la faire correspondre quand la sortie système change (automatiquement ou manuellement) serait assez utile
  • Sur Windows, le besoin d'être très précis dans le clic sur la barre de progression, donnant des passages comme celui-ci (notons la pochette qui disparait) :
  • Sur l'application Windows, aucun contrôle de lecture dans la barre de tâches ; pourtant présents sur la version du Windows Store
  • La lenteur des chargements des "pages" sur l'application Windows, qui peut devenir pénible, couplée à certains soucis décrits plus loin
  • La réactivité variable des suggestions de résultats, qui donne l'impression de taper trop vite pour le moteur. Sur Windows, cela peut donner ce type de situation, où revenir sur une recherche donne des résultats pour les deux premiers caractères tapés :

Un tiers de mon top 50 absent

Mais oublions ces soucis, qui n'empêchent pas concrètement d'utiliser le service. On s'y fait même, dans une certaine mesure. L'important pour moi est d'avoir de la musique à écouter en "qualité CD". Qobuz promet 30 millions de titres, donc logiquement de quoi faire.

J'ai donc effectué deux tests : pris mes 50 titres les plus écoutés sur Spotify l'an dernier et ma "sélection" de 39 titres à laquelle je reviens quand je n'ai pas d'inspiration. Les résultats sont compilés et commentés ici.

16 titres de mon top 50 ne sont pas disponibles au streaming, voire absents du catalogue. 6 morceaux de mon top 10 y sont interdits. Sur ma "sélection", 6 manquent à l'appel. J'admets ne pas toujours avoir bon goût, mais tout de même. Le metal est surreprésenté dans ces absences, ce qui n'est malheureusement pas étonnant.

J'ai par contre été surpris des nombreux problèmes de métadonnées sur ce qui est disponible... même sur des choses aussi simples que le décompte des albums. Ces derniers sont mélangés avec les singles, ce qui peut drastiquement faire gonfler le nombre sans raison. Il peut aussi varier d'une seconde sur l'autre, selon la vue affichée (recherche ou fiche artiste).

L'équipe réplique certaines erreurs vues ailleurs (comme l' "Inermède" d'Hôtel Robinson), commet des oublis complets de coauteurs voire des erreurs bêtes et méchantes, à l'instar de producteurs ou ingénieurs du son déclarés comme artistes. Il y a aussi des bizarreries, comme DVSR absent mais dont l'image est associée au profil de "Devastator", un groupe dont DVSR partageait précédemment le nom.

Ajoutons à cela que les albums sont affichés dans un ordre ésotérique (ni alphabétique, ni chronologique), parfois sans date. La navigation peut devenir assez pénible et on se demande sincèrement ce qui empêche de séparer albums et singles dans l'affichage.

Des carences en fer

Surtout, il faut avoir les goûts du service. Aussi passionnés les employés de l'entreprise soient-ils, le service reste centré sur certains styles ; jazz, classique ou "pop/rock" (la catégorie la plus écoutée).

En un mois, j'ai vu du rock faire quelques incursions dans les sélections, mais tout ce qui dépasse le hard rock semble représenter un angle mort. Tout juste ai-je aperçu un album de Seether, un de Linkin Park et un autre de Deep Purple, soit du easy listening à l'échelle du hard rock et du metal. Les sélections de nouveautés se limitent à une catégorie "pop/rock" dans laquelle il semble exclu de faire monter les décibels.

Pourtant, Spotify ne disait-il pas début 2015 que les fans de metal étaient les plus fidèles aux groupes sur sa plateforme ? En France, le neo metal (coucou Deftones et Korn) était à peine éclipsé par le reggae bleu-blanc-rouge et la folk bretonne (oui). On pourrait presque qualifier les metalheads de mélomanes.

Découvrir du metal est la croix et la bannière sur Qobuz. Habitué aux recommandations de Spotify, je suis resté coi devant le désert que représente l'éditorialisation actuelle du genre sur le service français. Cela alors que les albums Metal y sont bien étiquetés comme tel.

Dans ces conditions, pourquoi payer plus cher un service qui y prête si peu attention ? Je veux bien compenser avec des sites tiers, type Metalorgie, mais ça reste (au moins) dommage.

Qobuz Clicker

Je suis accro à ma musique et, par corolaire, à Spotify. Retenant chacune de mes écoutes, capable de me proposer tous les jours des albums et artistes qui m'intéressent, il représente pour moi l'intérêt que peut offrir la collecte des données. Cela va des écoutes récentes aux listes de lecture type "Découvertes de la semaine", dont l'industrie musicale elle-même note l'efficacité.

Qobuz me le disait, ses clients sont très critiques de cette approche automatisée. Elle a pourtant ses vertus. Le service hexagonal ne propose aucune liste d'écoutes récentes et, globalement, aucune indication que les écoutes ou mises en favori sont prises en compte. Vos habitudes disparaissent dans le néant si vous ne les enregistrez pas manuellement.

Les fiches artiste très peu de suggestion de "meilleurs titres", laissant souvent l'internaute se débrouiller face à un pavé d'albums dans le désordre. Vous êtes donc condamné à bien connaître sa discographie ou à cliquer au hasard sur un des albums, classés dans le désordre et mélangés avec les singles, sans différenciation. Avec ces problèmes, l'accent constant mis sur les albums n'aide pas.

Espérons que le partenariat avec MusiMap, qui n'a pas encore porté ses fruits, ouvrira vraiment la voie à plus de personnalisation.

Curiosité, voire pugnacité

Pour le moment, la réponse à tout cela est l'ajout en favori d'un artiste, d'un album ou d'une piste. Les applications forcent tout de même à des manipulations inutiles pour sauvegarder un élément. Mettre mieux en évidence les boutons ne serait pas un luxe, quand un Spotify s'arrange pour avoir ce bouton presque toujours visible.

Pour découvrir des contenus, il faut donc être curieux ou se reposer sur les sélections de la plateforme. On s'habitue vite à des automatismes de Spotify, comme les découvertes hebdomadaires, la lecture de titres connexes une fois un album fini ou les recherches personnalisées avec les écoutes ou la bibliothèque, simple à remplir.

Notons que, dans son jeu de la curiosité, le moteur de recherche ne vous aidera pas. Ne tenant aucun compte des contenus et artistes dans vos favoris, ni de vos écoutes, il a refusé de trouver une partie des pistes que j'ai cherché, pourtant bien dans le catalogue (voir mon classeur Docs).

Dans ce cas, il faut donc passer par l'artiste (qui peut aussi être occulté par le moteur), retrouver le bon album dans une liste triée aléatoirement puis le morceau... qu'il s'agira de sauver dans ses favoris pour ne pas recommencer l'opération à chaque écoute.

Plus généralement, il faut donc cliquer, cliquer et cliquer pour trouver et penser à tout sauvegarder, composer avec une interface parfois lente, ne pas se décourager quand le moteur de recherche ne remonte pas un contenu existant... Soit bien des galères vu le prix de l'abonnement.

Notons aussi que Qobuz est censé fournir un Qobuz Connect, calqué sur "Spotify Connect", pour reprendre la lecture entre les clients et contrôler la musique lue sur un appareil via un autre. Encore une fois, j'en suis friand sur le service suédois, mais impossible d'en trouver trace chez la jeune pousse française.

Et la qualité audio, au fait ?

Il reste la question de la qualité audio, à laquelle je suis habituellement sensible. J'écoute généralement ma musique via un Parrot Zik 3 sur iPhone (ou des intras Shure SE215), un casque micro Logitech G430 au travail (somme toute utilitaire) et un Sennheiser HD6XX (derrière un couple Schiit Modi v2 et Magni v2).

C'est sur le Parrot et le Sennheiser que j'ai cherché une différence à l'écoute avec du Spotify et mes Flac extraits de CD. Je suis toujours bien en peine d'émettre des verdicts définitifs sur la différence entre l'Ogg Vorbis 320 kb/s de Spotify et les Flac de Qobuz.

Si j'entends des écarts, ils semblent plus souvent dépendre du volume d'écoute que d'autre chose. Encore aujourd'hui, pour mes oreilles rongées par des excès musicaux adolescents, l'intérêt de payer 20 euros par mois une qualité que je n'entends pas de manière certaine m'échappe.

À mon sens, s'équiper de meilleurs casques ou enceintes constitue un levier bien plus intéressant que de passer de l'Ogg 320 kb/s au Flac. Le constat concret à ce niveau est la consommation de l'app iOS Qobuz : 2,9 Go en un mois pour une heure par jour en déplacement. L'entreprise a bien raison de dire que les réseaux sont prêts, je n'ai eu aucun souci d'écoute (sinon dans le métro parisien, mais bon, ça...).

À la fin des fins, la promesse d'éditorialisation et de qualité audio sont bien tenues. J'ai même découvert des morceaux qui ne me lâcheront plus. Mais sorti de ces deux éléments, le service manque cruellement d'anticipation des besoins des utilisateurs, que ce soit par la mise en avant de boutons essentiels (la mise en bibliothèque) ou de suggestions.

Pour ma part, je continuerai de surveiller de près le service, mais ne lâcherai pas encore Spotify aujourd'hui, à mon grand regret.