Quotidiens nationaux et abonnement en ligne, prime à la pénibilité

Hors piste
Rodrigo Bittencurt (Pixabay)

Les médias ont pris le pli du numérique. Ils ont compris le besoin de visibilité, de revoir les formats et, pour certains, de devenir fact-checkers. Surtout, ils ont saisi que l'abonnement reste un des seuls moyens de produire de la qualité.

Cela n'empêche pas de garder des pratiques de rétention héritées du papier, qui frôlent la malhonnêteté. Voire des systèmes techniques littéralement d'une autre époque.

Des prix cachés après la première année

Fin juin, je révisais mes abonnements, en quête d'un quotidien national. Au choix, Le Figaro, Le Monde ou Libération. Laissons le premier de côté pour le moment, et parlons des deux autres.

Il y a quatre mois, Libération affichait un prix mensuel à 8,99 euros, avec un tarif à 15 euros barré. Les 8,99 euros étaient-ils valables la première année ou tout l'abonnement ? Un mail au service abonnement a confirmé que ce prix n'était valable qu'un an. Le journal ne précisait nulle part cette durée, espérant sûrement que le doute de leur présentation joue en sa faveur.

Le Monde fait mieux : il affiche 1 euro le premier mois puis 9,90 euros par mois. Le journal de référence ne met pas en avant que ce prix (9,90 euros) n'est valable que la première année, avant de basculer à 17,90 euros par mois.

De même pour l'abonnement annuel (99,90 euros au lieu d'environ 180 euros), valable seulement une année. Cette subtilité est mentionnée dans les (longues) conditions de vente et dans un email avant reconduction automatique, assure le quotidien.

Le Monde abonnement

Libération a revu son offre fin août. Il a installé un metered paywall, c'est-à-dire un accès gratuit à quatre articles par mois, avant de réclamer un paiement. La méthode est connue et la limite facilement contournable, pour ceux qui voudraient tricher, via une simple fenêtre de navigation privée (l'ennemi millénaire de ces murs).

Le prix a, lui, bien baissé : 6 euros par mois de façon permanente, sans prix caché après 12 mois. Malheureusement, ce tarif attractif est entaché de lourds problèmes techniques à l'abonnement.

Incohérence et insécurité

Fin août, le site d'abonnement ne dispose pas de HTTPS, soit le chiffrement de la connexion entre le site et l'appareil. J'ai donc pris mon courage et un réseau privé virtuel (VPN) à deux mains pour m'inscrire.

La protection via HTTPS, basique, empêche en principe l'interception des données transmises, mais garantit surtout leur intégrité. Plus de la moitié du trafic web est désormais chiffré, grâce à plusieurs initiatives conjointes, à savoir la délivrance gratuite de certificats reconnus (via Let's Encrypt) et des navigateurs bien plus sévères sur la question. En sus, Google classe désormais mieux les sites en HTTPS dans ses résultats de recherche.

Une fois lancé, je tombe sur un problème fonctionnel : la page d'inscription au site refuse mes coordonnées. Plusieurs tentatives me donnent une alerte, m'invitant à appeler le service abonnement. Quelques jours plus tard, les mêmes informations sont validées sans le moindre accroc, sans comprendre ce qui a changé.

À noter que la page m'impose un mot de passe à 20 caractères. Une fois la procédure terminée, je suis redirigé au sous-domaine abonnement.liberation.fr qui présente... les vieilles offres ! Il semble que le journal n'ait pas voulu s'encombrer avec une mise à jour, personne n'étant censé tomber dessus.

Aucune indication n'est fournie sur la marche à suivre pour consulter les contenus.

Au passage, l'application iOS affiche toujours les anciens tarifs : 14,90 euros par mois (même pas les 8,99 euros) et 179,90 euros annuels.

Je reçois ensuite un email me confirmant mon abonnement. Bien, direction Liberation.fr.

Là, nouvelle douche froide : la page d'identification n'est pas protégée via HTTPS. Forcer son application fonctionne avec un bémol : le logo Libération est chargé en HTTP, ce que réprouve à raison mon navigateur.

Mieux encore, le site de Libération refuse les identifiants de mon nouveau compte.

C'est parti pour un tour par la page de réinitialisation du mot de passe. À ce moment, mon adresse email n'est pas reconnue. Mon compte n'existe pas.

C'est tout de même la seule page qui impose le HTTPS. Le site refuse presque qu'on s'identifie en sécurité, mais impose le chiffrement de la connexion à la réinitialisation.

Près d'une journée plus tard, je reçois un email m'invitant à "activer mes services numériques". Le lien contenu renvoie vers une bête page de création de mot de passe, en HTTPS, qui accepte cette fois un mot de passe à 28 caractères avec symboles.

Contrairement à n'importe quel site de presse ou service en ligne, Libération oblige donc à attendre une journée pour utiliser son abonnement (sans jamais le dire clairement au client) et à créer deux comptes distincts (l'un pour l'abonnement, l'autre pour le site).

La raison de ces incohérences ? Cette partie est gérée par Libération lui-même, quand la procédure d'abonnement dépend de GLI, prestataire tristement célèbre pour une panne qui a bloqué les abonnements de plusieurs titres de presse il y a deux ans.

Depuis, Libération est passé entièrement au HTTPS, un geste (tardif) à saluer... qui exclut toujours le tunnel d'abonnement. Dommage par ailleurs qu'ils aient compté jusque-là sur l'abnégation des prospects pour obtenir des abonnés.

Un renouvellement oublié

Fin septembre, je perds l'accès aux articles du site et au journal. Libération n'a pas renouvelé mon abonnement.

Contacté à la mi-octobre, le service client me répond que ce problème est "exceptionnel". Il me demande de lui envoyer un relevé d'identité bancaire (RIB) par email, ainsi qu'un mandat de prélèvement SEPA rempli.

Une page de gestion de l'abonnement me renvoie même une erreur de Magento (système e-commerce clés en main). J'attends désormais une réponse du service abonnement à une demande de coupure.

La plaie de la résiliation

Aujourd'hui, la résiliation en ligne de Libération ne fonctionne pas plus. Un lien existe bien dans l'espace client, mais la procédure me renvoie soit une page blanche, soit la page de désabonnement sans la moindre différence.

À se demander si une seule personne a tenté la procédure d'abonnement et de désabonnement avant de la mettre en production.

Je m'inquiète aussi du tarif : 6 euros est un prix d'appel censé relancer les ventes en ligne. Il a déjà été pratiqué par Le Monde il y a presque dix ans, avant de grimper à 15 euros par mois.

Revenons d'ailleurs au Monde. Comme Mediapart, le service "sans engagement" impose l'envoi d'une lettre en vrai papier sylvain pour résilier un abonnement créé entièrement en ligne. Une vraie mesquinerie.

Là-dedans, Le Figaro fait figure de bon élève. Le prix mensuel de 9,99 euros ne bouge pas, et le journal permet le désabonnement par email.

Il serait temps qu'on impose aux services en ligne une méthode de désabonnement équivalente à celle d'abonnement. La flexibilité peut faire peur aux éditeurs, mais elle rassure les internautes.

Elle encourage l'essai de l'abonnement et la fidélité, tout comme les tarifs annuels, plutôt que des prix d'appel qui débouchent sur des augmentations abruptes de tarif et des conditions de désabonnement ésotériques.